Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants,
ou le choc des cultures (extrait)

Par Bertrand Mialaret

 

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Les réponses de Guo Xiaolu

 

Le cinéma est très important pour vous?

Oui, j’ai étudié et travaillé neuf ans en Chine dans ce secteur, puis deux ans en Angleterre et dans les cinq dernières années, j’ai réalisé six films dont certains DVD seront bientôt commercialisés en France. Je finance mes films avec mes droits d’auteur, le "Dictionnaire" a été traduit en vingt quatre langues. Je ne me plains pas, je ne reçois d’aide de personne mais pour les films et leur distribution, c’est beaucoup plus difficile.

Vous écrivez: "on nous dit que nous sommes fiers de notre histoire millénaire, mais le lendemain on voit que de magnifiques vieux temples sont démolis"…

Les dégâts sont là, la Chine ressemble à l’Amérique; ce qui reste authentique c’est le Sud Ouest où vivent les minorités ethniques. Moi même je suis, par ma grand mère, d’origine Hui, une minorité essentiellement musulmane qui, dans un passé lointain, vient d’Asie centrale.

Je n’appartiens pas à la majorité Han, mon éducation est une éducation classique dans un pays communiste; j’aime la Chine comme on doit l’aimer mais je suis une intellectuelle et je veux vivre de manière indépendante.

Vous ne semblez pas vous intéresser à la politique…

Je ne veux pas être impliquée même si les thèmes de certains de mes films sont politiques. Je suis plus mûre, je sens la responsabilité et la mission de témoigner dans mes livres et mes films. Le roman que je viens de finir d’écrire en anglais et qui sortira à Londres l’an prochain aura pour titre "UFO in her eyes". C’est un peu de la science fiction, cela se passe dans un village attardé et pour l’OVNI (objet volant non identifié) je vous laisse deviner, mais c’est un roman beaucoup plus politique.

Le livre qui vient d’être traduit de chinois en anglais "Twenty fragments of a ravenous youth" est très différent, c’est un roman que j’ai écrit à dix huit ans et qui a été publié en Chine cinq ans après; un roman d’une jeune femme en colère qui se concentre sur ses émotions personnelles et refuse une approche matérialiste.

Dans ce livre vous protestez contre le chauvinisme masculin…

Non, je ne suis pas féministe au sens habituel, je me vois plutôt comme un peu anarchiste et une anarchiste ne veut même pas être féministe. Comment une voix personnelle peut elle se faire entendre si elle n’exprime pas les problèmes de la collectivité, c’est l’un des problèmes en Chine. De même les jeunes écrivains, les hommes surtout, ont des sentiments et un ton très nationaliste, dont ils ne se rendent même pas compte; cela peut très gênant surtout quand on parle de certains sujets "sensibles".

Il est clair que l’Histoire risque d’être réécrite et cela me déprime et me met en colère; de ce fait je me sens parfois isolée. J’agis de façon très individualiste et en complète indépendance mais cela ne veut pas dire que je n’aime pas mon pays !

Quelle langue dans vos rêve?

Question très actuelle pour moi car je viens d’écrire une nouvelle ou une femme rêve de son amant et je me suis demandé en quelle langue et pour moi même je ne sais pas répondre à la question. Cela me fait un peu peur car pour un écrivain la langue est essentielle. Je ne sais pas si je suis un écrivain dans mes rêves.

Ecrire dans une langue étrangère peut avoir à la longue un impact sur votre personnalité; c’est surtout vrai pour les écrivains qui ne reviennent pas régulièrement en Chine. Je ne suis pas de la génération des écrivains comme Ha Jin qui soulignent beaucoup ce problème. Cette génération a beaucoup souffert de la Révolution Culturelle et a des souvenirs dramatiques de sa vie en Chine.

Pour des gens plus jeunes ce n’est pas pareil, ils vivent entre la Chine et l’Occident, la liberté est une réalité. Mais je me sens aussi très chinoise, je ne pense pas que j’écrirai dans l’avenir toujours en anglais; le livre que je commence actuellement sera écrit en Chinois.

 

Bertrand Mialaret - Rue89 - 22/02/2008

 

 

 

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