CAHIERS DU CINEMA

2 critiques par Jean-Michel Frodon
Paris, Mars 2007

1.
How Is Your Fish Today ?, de la Chinoise Guo Xiao-lu, [...] relève d’un embrayage du documentaire sur la fiction et de la fiction sur le documentaire, sauf qu’il s’agit chez elle, et chez son coscénariste et acteur principal Rao Hui, d’un jeu délibéré, et revendiqué explicitement par le film lui-même. Quelques mois après la découverte du grand œuvre de fiction de Jia Zhangke Still Life, Lion d’or à Venise, et son « film-frère » documentaire, Dong, le film-dispositif de Guo, elle-même aussi écrivain, participe avec une élégante intelligence de cet immense exploration, renouvelée aux quatre coins du monde, des interférences entre documentaires et fiction. Cette exploration n’a rien de formaliste, elle concerne les possibilités pour les images à la fois de raconter le monde réel, d’en proposer des représentations désirables,et de permettre la critique par chacun de constant va-et-vient entre ces deux régimes de représentation.

 

2.
Le film le plus passionnant est pourtant la découverte de How Is your Fish Today ? de la réalisatrice chinoise Guo Xiao-lu. Diplômée de l’Institut du cinéma de Pékin, devenue écrivain londonienne à force d’avoir vu ses scénarios refusés par la censure, Guo Xiao-lu est dotée d’un solide sens de la communication qui se manifestera à l’issue de la projection, mais a déjà fait d’elle la coqueluche des petits déjeuners à l’Hôtel HN. Elle y distribue généreusement les exemplaires de ses livres – celui dont j’hérite, La Ville de pierre (Editions Picquier) est d’ailleurs un bon livre. Le film de Guo est à l’avenant : cette double histoire d’un personnage de fiction (un jeune habitant du Sud de la Chine qui fuit jusqu’à l’extrême nord du pays après avoir tué sa compagne) et d’un supposé personnage réel, l’écrivain Rao Hui, coscénariste du film, qui écrit cette histoire part finalement pour la même destination. Il y a un peu trop de savoir dans cet agencement fiction/documentaire, et de citations de Rohmer en voix-off « à la Wong Kar-wai », quelque chose de rusé. Mais le film emporte cette défiance, les plans ont une beauté, le montage une liberté et un humour, le rapport entre image et son une inventivité qui permettent au film d’être meilleur, bien meilleur que son « concept » – et bien meilleur que son titre, lui aussi marqué par un sens un peu trop visible de formule (c’est pire avec la traduction française, Comment va votre poisson aujourd’hui ?).

Le film de Guo Xiao-lu pose une question importante et difficile à laquelle sont désormais confrontés les festivals. Et il la pose d’autant mieux qu’il s’agit d’un excellent film. Le travail des festivals, au fil des ans et dans le monde entier, a élaboré des attentes artistiques d’un haut niveau. Dans le monde entier, mais en particulier dans les pays « du Sud », pays dont les cinéastes ont besoin plus qu’ailleurs de reconnaissance internationale, en particulier « au Nord », des auteurs de films repèrent ce qui est le plus volontiers légitimé par les jurys et les critiques à travers le monde, et ils tendent à s’y conformer. Un tel horizon de reconnaissance comporte des dangers, ceux d’un académisme du film d’auteur, avec comme sous-catégorie le « film d’auteur du Sud ».

Depuis quelques années, ce risque, identifié, sert de prétexte à une réaction en forme de disqualification a priori de tous les films qui travaillent dans les directions les plus passionnantes du cinéma, à commencer par l’interrogation des frontières entre fiction et documentaire – mais aussi entre les genres, et entre les types d’images. Les adversaires des soi-disant « films pour festivals » sont massivement les défenseurs d’un cinéma conventionnel, ayant comme boussole les modèles hollywoodiens et télévisuels. Ils sont de bien plus puissants et redoutables ennemis que les éventuelles complaisances envers un modèle esthétique alternatif. Il reste que chaque film doit être choisi pour lui-même, avec exigence envers l’originalité, la nécessite interne de chaque œuvre – c’est le cas de How Is your Fish, et de la grande majorité des films présentés à Fribourg en compétition cette année, comme d’ailleurs, hors compétition, de Daratt ou du très beau et trop peu vu Entre chien et loup du Coréen Jeon Soo-il, mélancolique et sensuelle déambulation dans un paysage de montagne enneigée, de misère sociale et de désespoir amoureux, transcendée par le talent de son auteur.

Il demeure qu’entre le précipice d’un « world cinéma » formaté par les modèle commerciaux dominants et le fossé des « films pour festivals », le chemin du sélectionneur est étroit.              

 

CAHIERS DU CINEMA
On How Is Your Fish Today by Xiaou Guo

 

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