cover_156K  

XIAOLU GUO REPOND A GODARD

Une cinéaste « bohémienne »
au Festival de Gand

Auréolée il y a deux mois par le prestigieux Léopard d’Or du Festival de Locarno pour She, a Chinese, la réalisatrice Xiaolu Guo, 36ans, était en début de semaine de passage au Festival de Gand, pour y présenter son dernier film. Une belle occasion, alors qu’Europalia met à l’honneur son pays, pour évoquer ce cinéma chinois, qu’elle conjugue d’une façon indépendante et avouons-le très rafraîchissante.

Si indépendante que la jeune femme, qui vit aujourd’hui entre Londres et Pékin, ne se sent aucunement concernée par les grands honneurs faits à la Chine. Elle préfère prendre ses distances, tout en précisant d’emblée qu’elles ne sont pas forcément politiques. D’ailleurs, confesse-t-elle, « la plupart des films chinois qui marchent aujourd’hui à l’étranger font soit dans le politique, soit dans la carte postale exotique. Je ne me sens ni de l’un de l’autre. Sans doute parce que dans l’un comme dans l’autre, c’est comme si les gens étaient absents. » On l’a compris : She, a Chinese, rythmé au son de chansons punk-rock, c’est tout l’inverse. Un portrait très personnel de jeune femme, Mei, sans attaches, pour ne pas dire sans identité, qui va quitter sa campagne paysanne pour monter à la ville (Chongqin, produit spectaculaire et un peu effrayant du boom économique), puis pour s’installer à Londres. « C’est un road-movie, confesse la cinéaste, dans le sens où l’étaient My own private Idaho ou Midnight Cow-boy. »

Biberonnée au cinéma occidental, Xiaolu Guo cite encore Duras, Marker, Pasolini. Des écrivains-cinéastes… comme elle, romancière depuis son adolescence. « Ils ont en commun une puissance intellectuelle, qui passe par un langage singulier. Et qui tranche foutrement bien avec la pollution commerciale de la société actuelle. »

La version chinoise de « La Chinoise »
Mais c’est Jean-Luc Godard qu’elle prend plaisir à citer au sujet de son dernier film. « Il y a une quarantaine d’années, il tournait La Chinoise. Eh bien, voilà en quelque sorte la version chinoise de La Chinoise. Une version totalement à l’envers, puisque ma Chinoise à moi fait le voyage inverse, et va vers l’Ouest. C’est une référence un peu cynique à Godard, puisque sa Chinoise à lui n’existe plus, aujourd’hui. »

Une version également picaresque, divisée en chapitres tendres, absurdes et souriants, mais qui n’en dressent pas moins le portrait d’une Chine violente, avec viols, expulsions, prostitution. « Ne comptez pas sur moi pour jouer les ambassadrices de la Chine. La Chine n’est pas mon inspiration, c’est juste mon histoire. Mon cinéma parle de choses plus existentielles, et sans doute plus européennes, comme le sentiment d’aliénation, que l’on peut retrouver dans le cinéma de Bruno Dumont ou des frères Dardenne, ou la solitude. Au fond, dès que Mei quitte son village et prend la route, elle est en pays étranger, que ce soit à Chongqin ou à Londres. »

La Chine millénaire des traditions expose actuellement sa puissance identitaire à Europalia. Celle du cinéma contemporain que défend Xiaolu Guo voyage en bohémienne et sans papiers à travers le monde. Qu’est-ce que la Chine, au milieu de ces contradictions spectaculaires ? « C’est un concept artificiel, un mystère pour nous-mêmes ! Et toute réponse facile sera en ce sens dans l’erreur. C’est une immense complexité. » Elle réfléchit, puis reprend : « Disons que pour moi qui viens de la campagne, comme la grande majorité des Chinois, il m’apparaît évident que nous sommes d’abord un pays de campagnes, de paysans, de petites gens, et c’est là que réside la beauté et l’authenticité de la Chine. Pas dans la propagande économique qui montre actuellement la fierté de nos mégalopoles. »

 

Nicolas CROUSSE

Le Soir - Belgique, Jeudi 15 octobre 2009

 

 

Lire l'article original

 

retour à la page française du site

back to 'She, a Chinese' reviews

 

 

  © 2004 - 2009 Xiaolu Guo